Danser avec des enfants autistes Danser, une manière d'être
Depuis 2009, je mène des ateliers chorégraphiques au sein de L'Oasis, à Savigny-sur-Orge (Essonne), lieu d'accueil et de loisirs pour enfants autistes ou handicapés mentaux âgés de 6 à 16 ans, où l'on pratique notamment la musique, le clown, les arts plastiques et la danse avec des intervenants professionnels.
Compétences des intervenants Pour une bonne partie des handicaps, bon sens, esprit créatif et savoir faire des artistes intervenants doivent suffire à l’élaboration d’un projet artistique avec les enfants. Il s’agit de toujours mettre l'accent sur les potentiels de chacun et non sur ses limites, de favoriser les situations qui vont lui permettre de s’épanouir individuellement et collectivement. Face aux difficultés spécifiques de communication, de compréhension, de perceptions et sensations qu'il rencontre avec chacun, l’intervenant est amené à une démarche pédagogique plus fine, plus approfondie, plus imaginative. Il est continuellement dans une attitude de recherche. Il est donc libre d’inventer sa propre pédagogie, source d’enrichissement pour chacun.
Les enfants sont le centre. Tout doit être fait autour d’eux. Durant l'atelier, il s’agit, pour les encadrants, d’inventer avec l’imprévu, de vivre le moment présent, d’être sans jugement ni comparaison, à l’écoute de l’autre, dans un climat de confiance et de partage. L'essentiel, c'est le plaisir de communiquer. Nous ne connaissons pas l’histoire personnelle des enfants, ce qui nous permet un contact plus libre, sans a priori. Il s’agit de ressentir, de laisser faire, sans volonté d’anticipation ou de maîtrise quelconque. Ce n'est pas toujours facile ! Un véritable engagement de chacun des adultes est indispensable. Chaque fois, nous remarquons l'importance de ne pas parler durant l'atelier. La communication se fait autrement – par le corps. On peut danser avec un enfant puis le quitter et aller vers un autre. Si cette séparation peut, durant les activités quotidiennes, être perçue par l'enfant comme un abandon douloureux, elle est très fréquente dans l'atelier danse et ne semble pas vécue comme une souffrance, car la notion de jeu est permanente. Les règles du jeu proposées sont ouvertes ; elles sont là pour donner des appuis, permettre la communication et susciter la rencontre.
Les enfants Dans l’ensemble, on constate que la danse apaise et rassure les enfants. Il aura été fréquent qu’une séance commence dans une grande agitation et finisse dans le calme. Yvon, qui ne participait presque pas l’année dernière et voulait toujours rester assis à côté du poste de musique, est devenu actif, se lève, danse, va vers les autres. Aujourd'hui, s'il aime jouer à sortir du cercle, c'est pour qu'on vienne le rechercher. Pendant les six premiers mois, Nourkil rasait les murs, il tournait « en carré » ; un jour, il a traversé la salle en diagonale. Aujourd'hui, il participe toujours peu mais ose circuler dans tout l'espace. Il peut même lui arriver de s'allonger en plein milieu de la salle (et non plus seulement dans les coins, où il avait l'habitude de se réfugier) et de rester là, un long moment, parmi les autres. Ugo, très énergique, n’est plus seulement dans l’imitation, mais prend aussi des initiatives. Il aime jouer à répondre à un mouvement par un autre mouvement ; il perçoit très bien les variations d'énergie et s'amusera par exemple à répondre à un geste doux par un autre geste doux, puis à un geste vif par un autre geste vif. Haroun chante et accompagne les bruitages. Scott aime la musique et semble plus sensible au son qu’au mouvement, c'est-à-dire qu'il s'arrête de bouger quand il entend de la musique comme pour mieux l'écouter. Cyril arrive toujours en criant ; en général, il s'apaise pendant la séance. Quand Ian est arrivé, en cours d'année, il semblait être en souffrance en permanence. Il y a maintenant des moments, voire des séances presque entières, où il semble serein. On ne croisait jamais le regard de Yann, son visage ne laissait paraître aucune expression, il passait son temps à marcher très vite ou à se sauver. Aujourd'hui, il participe à tout le début de la séance. Il sourit et, pendant l'improvisation, si on lui tend un bras, il peut donner la main de lui même.
Mise en œuvre Ressentir, être, jouer et communiquer par et avec la danse, cette année sur le thème : de paysages en paysages. Un voyage à travers la photographie de déserts, montagnes, forêts, plages… Cette thématique nous ouvre un champ d'actions inépuisables. De chaque photo pourra naître une infinité de nouvelles images, plus ou moins abstraites et créées par les enfants. Nous choisirons des photos qui représentent des paysages des quatre coins de la terre. Nous pourrons ainsi travailler à inventer toutes sortes de situations, toutes sortes de personnages. Avec : tissus, papiers, plumes, ballons, cartons, coussins, marionnettes, vêtements… Nous développerons notre imaginaire en dansant de nouveaux paysages dans la découverte, la rencontre, l’échange, le dialogue et le plaisir de jouer ensemble.
L'encadrement Pendant les séances, les enfants sont accompagnés par les fondatrices de L'Oasis et par des stagiaires, pour la plupart étudiants en psychologie. Durant notre atelier danse, les adultes sont tour à tour acteurs (ils participent au même titre que les enfants autistes), passeurs et témoins. En général, il y a presque un adulte par enfant. C'est une situation privilégiée qui permet d'être plus disponible, d'entretenir une relation fine et singulière avec chacun et de rendre ainsi la séance riche et vivante. Chaque fin de semaine, les stagiaires, les responsables et, plus ponctuellement, les artistes intervenants, se réunissent pour une supervision d’équipe menée par une psychologue. Elle permet de faire un tour d'horizon sur les événements marquants de la semaine, d'exprimer les difficultés rencontrées, les doutes, l'enthousiasme face à telle ou telle situation et d'avoir une réflexion sur les comportements des enfants et sur notre relation avec eux.
Initiation des encadrants En début d’année, nous (intervenants artistiques et fondatrices de l'Oasis) avons décidé d’organiser deux journées danse-musique-clown-modelage, destinées aux stagiaires encadrants afin de permettre à chacun une approche plus fine et sensible des disciplines artistiques pratiquées avec les enfants. Deux journées, c'est peu, mais cela permet d'entrouvrir une porte ensemble, pour oser ensuite s'y engouffrer seul et sans inquiétude du jugement de l'autre. Tout particulièrement avec la danse, la confiance doit passer par le corps. Si nous n'osons pas, nous ne pouvons pas communiquer avec les enfants ; nous risquons plutôt de leur transmettre nos angoisses ou notre malaise. Nous avons constaté, dans l'ensemble, que cette initiation permettait aux adultes de participer à l'atelier avec moins d’appréhension et plus de simplicité.
La musique avec la danse Elle rassemble, rassure, poétise, provoque des sensations, suscite des états et libère l'imaginaire, alors que les mots, parfois, empêchent ou réduisent le dialogue qui est en train de se créer par le mouvement. Elle donne de la densité au présent, en fait un événement : il se passe quelque chose. Mais elle permet aussi d'introduire dans l'atelier des moments de silence, qui sont alors tout aussi forts.
Le groupe En début d’année dernière, la question se posait de savoir comment rassembler des enfants dont les comportements sont plutôt opposés. La moitié d’entre eux avait beaucoup d’énergie à dépenser, tandis que l’autre était plus en retrait, plus passive. C’était un groupe à deux vitesses. Finalement, le dynamisme du premier groupe a engendré une circulation de l’énergie au sein du groupe tout entier.
Déroulement d'une séance A partir de l’état de disponibilité de chaque enfant : - Dans un premier temps, l’occupation de l’espace est libre, chacun se l’approprie à sa manière. - Puis rituel en promenade, les uns avec les autres ; les rencontres vont nous amener à construire un cercle, espace convivial et rassurant. La même musique nous accompagne à chaque fois. - Une fois la musique terminée nous nous asseyons. Respiration. Silence. Parfois, accompagnement de tous par des bruitages avec la voix ou le souffle. - Série d’étirements, assouplissements tout en douceur. - Mobilisation des articulations. - Prise de conscience des différentes parties du corps en fonction de la situation de chaque enfant et de sa disponibilité par le toucher ou l’imitation. - Passage individuel par une porte symbolisant l’entrée dans l’espace jeu et fabriquée avec les enfants (en carton ou en tissu, et illustrant le thème de l'année). - Expérimentation de différentes situations corporelles, seul, à deux, ou en groupe en occupant tout l’espace. - Appel à l’imaginaire, exploration et développement des thématiques choisies et de leurs articulations entre elles. - Travail avec des verbes d’actions, des adjectifs, des objets, du contact corporel, conjugués aux fondamentaux de la danse. - A la fin, passage de chacun dans l’autre sens par la porte symbolique pour sortir de l’espace jeu. - Retour au calme. - Assis au sol, tout autour de la salle, contre les murs. Respiration, écoute du silence. Massage. - Lentement, retour à la verticale. Reprise de la parole.